23 septembre 2013
En écrivant le billet précédent sur la fête de Ganesh, plongée dans la magie de cette culture que je découvre, j’ai repensé aux portraits que Cali Rezo a ramenés de ses voyages à Bombay. Cali est une artiste extrêmement douée et touche à tout que vous connaissez surement.
Son blog, “De l’autre côté des cailloux” est d’une richesse folle. Elle pratique aussi bien la peinture numérique que des méthodes plus traditionnelles (craies, aquarelle, collage). Et parfois même elle chante (juste et beau).
Elle est aussi d’une incroyable gentillesse puisqu’elle a accepté de répondre à mes questions de blogueuse en herbe (alors qu’elle ne me connaissait pas du tout).
Merci beaucoup Cali !!
– Tu es partie en Inde en mars puis de nouveau en avril. Pourquoi deux voyages si rapprochés ?
Ayant des amis proches travaillant à Bombay pour deux ans, mon mari et moi avons décidé de profiter de leur présence pour visiter cette ville. Le séjour là-bas a été riche en émotions et lorsque je suis revenue, j’ai senti au fond de moi que j’avais encore quelque chose à y faire… J’ai énormément réfléchi et décidé d’y retourner rapidement, autant pour des histoires prosaïques de climat (arrivée de la mousson) et de visa, que du fait que nos amis quittaient l’Inde dans un délai assez court.
– C’était la première fois que tu allais là-bas ?
Oui, je n’avais jamais vu ce continent qui me fascinait autant qu’il me repoussait, comme pour beaucoup de gens.
– Raconte-moi Bombay. Est-ce l’immense ville bruyante, polluée qu’on imagine ?
Bombay est « trop » tout. Les cinq sens sont pris d’assaut dès la sortie de l’avion. La chaleur d’abord, qui tombe comme une chape moite en appuyant sur les épaules ; la foule dense qui presse et bouscule ; les klaxons incessants des rickshaw zigzagants ; les saris multicolores qui chatouillent les yeux ; la pollution et les fleurs de jasmin dans les chevelures qui enveloppent les narines… Poissons et crevettes mis à sécher au soleil, encens qui brûle, décharges à ciel ouvert, fleurs de frangipanier, gaz d’échappement… Odeurs alternativement divines et atroces. Rarement monotone. Et bien entendu à la première bouchée de nourriture, les épices qui débouchent le nez !
– Les bidonvilles, l’extrême pauvreté, comment as-tu vécu ça ?
Bombay a de très nombreuses facettes. Je n’ai pas côtoyé le gratin de Bollywood, ni marché dans un bidonville. J’ai cependant pu observer d’en haut et traverser en taxi le plus grand slum de la ville, ce qui était vraiment impressionnant et assez traumatisant niveau pollution visuelle, olfactive et sonore…
– Tu te déplaçais comment dans la ville ?
Lors du 1er séjour, en rickshaw, taxi, train et à pieds. Lors du 2e séjour, j’ai privilégié la marche et j’ai eu la chance de faire des ballades à moto.
– Tu as visité d’autres endroits en Inde?
Non, je suis restée à Bombay.
– Parlons dessin. Ton livre reprend 58 portraits au crayon et à l’aquarelle et 34 portraits en peinture numérique. Le plaisir de dessiner était identique pour les deux techniques ou tu as une préférence ?
Le plaisir était le même mais le contexte différent. Les croquis ayant été majoritairement faits sur place, dans les rues et mis en couleurs pour la plupart aussi en Inde. J’ai en revanche dessiné les portraits en peinture numérique à mon retour, en ajoutant ce que je n’avais pas eu le temps de réaliser sur place : d’autres expressions d’un modèle que j’ai aimé (en Inde, les gens posent de façon très sérieuse, concentrée et j’avais aussi envie de montrer leurs beaux sourires), d’autres personnes qui ne désiraient pas poser longuement mais qui me laissaient les prendre en photo.
– Comment ça se passait ? Les gens posaient facilement pour toi ?
En général, je choisissais un endroit ombré où je pouvais m’asseoir et je commençais à dessiner ce que j’avais devant moi. Très vite, les curieux s’installaient et se tenaient immobiles pour que je fasse leur portrait et ça s’enchaînait pendant des heures ! Lorsque j’étais épuisée, je faisais signe que j’arrêtais et je voyais alors l’attroupement formé dans mon dos !
– Il y a beaucoup de portraits d’enfants dans tes croquis. Parle-moi d’eux ?
Souvent, le contact se fait plus facilement via les enfants et le fait que je sois une femme a dû, en plus, atténuer les méfiances. Je suis allée principalement dans des quartiers de pêcheurs où les hommes partent travailler en mer et je voyais majoritairement femmes, enfants et vieillards. Des endroits où, bien que pauvres, les gens ne mendient pas. Des endroits aussi où les touristes ne vont pas et où mes promenades suscitaient curiosité et sourires. Parfois aussi quelques peurs de tous petits qui n’avaient jamais vu de blanche !
– Une anecdote, une personne qui t’a particulièrement marquée ?
La femme que j’ai vue 3 fois ! Lors de mon 1er séjour, je l’ai prise en photo, dans le quartier des pêcheurs de Bandra West. Quand j’ai décidé de retourner en Inde, j’ai imprimé des photos, au cas où je pourrais retrouver certains modèles et les leur offrir. Et là, alors que je dessinais une petite fille, je remarque une femme assise à côté de moi et je me dis que je l’ai déjà vue… Je la regarde, je fouille mon sac et je sors le paquet de tirages dans lequel je retrouve sa photo, que je lui donne. J’ai adoré son sourire. Du coup, je l’ai dessinée ce matin-là. L’après-midi, je suis allée faire des photocopies de mes croquis du matin et je suis retournée au village, espérant retrouver un vieux sur un banc et lui donner les tirages pour tout le monde. Avant même d’arriver au banc, je suis retombée sur la femme, au milieu d’une autre ruelle, et avec force sourires et gestes, lui ai donné son tirage. Les gens autour de nous se demandaient bien ce qui se passait !
– De ce que j’ai pu voir de ton travail, tu es une artiste prolifique. J’imagine donc que tu as fait plus de portraits que ceux qui apparaissent dans le livre. Comment as-tu fait ton choix ?
Je n’ai presque gardé aucun dessin du 1er séjour. Le carnet était à mon avis trop « classique », avec une première vision de l’Inde très touristique : rickshaw, temple, statues, singes… Tout cela a déjà été fait. Je l’ai mis en ligne pour le partager, mais il ne me semblait pas être assez intéressant pour être imprimé. Lorsque j’ai décidé de repartir, je savais déjà que j’allais privilégier les portraits. J’ai dessiné tous les jours sur place et sélectionné les portraits au retour, avec le maximum de recul.
– Rentrer à Paris après avoir vécu ça, c’était comment ?
Froid, gris, calme, propre. Les deux derniers adjectifs, pour la 1ère fois dans mon esprit, accolés à l’image de cette ville que j’aime pourtant beaucoup.
– Tu as commencé la peinture numérique en 2003 (corrige-moi si je me trompe), comment t’est venue l’idée de cette technique ?
J’ai commencé à montrer en ligne mes peintures numériques en 2003, mais j’ai dû faire mes premiers tests l’année précédente. En 2001 et 2002, je travaillais avec Enki Bilal sur son film « Immortel » pour lequel je réalisais des textures de personnages en images de synthèse. Utilisant alors tous les jours le stylet numérique pour mon travail, j’ai progressivement essayé cet outil pour des séries personnelles. Et j’ai continué.
– Tu auto-édites ton livre, les éditeurs n’étaient pas au rendez-vous?
Le monde de l’édition est, comme d’autres secteurs, en pleine crise et les réponses à mes propositions ont été plus que frileuses. Les rares rendez-vous ne m’ont pas convaincus de l’apport qu’un éditeur pouvait me donner. Je me suis du coup tournée vers les imprimeurs pour des devis et après deux mois de travail sur le contenu et la maquette, j’ai opté pour un système participatif.
– L’avenir est au crowdfunding (financement participatif) ?
En tous cas le crowdfunding fait partie de l’avenir. Les éditeurs ne vont pas cesser d’être là, mais il est à souhaiter qu’ils prennent en compte l’existence de solutions alternatives pour faire évoluer leur rapport aux auteurs.
– Au vu du succès de ta collecte sur Kisskissbankbank, tu penses éditer d’autres carnets ? L’Islande par exemple ? Ou tu as d’autres projets ?
Pour le moment, je ne suis pas fixée. J’ai eu plusieurs demandes dans ce sens mais, comme pour mon 1er carnet d’Inde, mon carnet d’Islande me semble un peu trop « classique ». Peut-être en le retravaillant ou en créant un livre de « voyages » (au pluriel), regroupant par thèmes des choses que j’ai vues ou vécues dans plusieurs pays… Dans un autre registre, je suis en train de préparer un livre d’alphabets mais je ne sais pas encore si j’utiliserai le système participatif ; j’ai un peu peur de trop solliciter les gens et qu’ils se lassent !
– Une question que je me suis souvent posée en lisant ton blog, tu dessines (croquis, carnets) tous les jours ?
Croquis ou autres, oui, j’essaie de ne pas laisser passer une journée sans réaliser une image. Je continue d’ailleurs mes collages quotidiens depuis plusieurs années…
J’espère que tu continueras à partager tes images et ta vision du monde avec nous. Merci beaucoup Cali d’avoir pris le temps de répondre à mes questions !
Si vous souhaitez participer à la collecte pour l’édition de « Portraits de Bombay » c’est par ici que ça se passe : http://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/portraits-de-bombay
Étiquettes : Bombay, Cali Rezo, Inde, interview, portraits, rencontre
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passionnante interview
à la fois riche et concise donnant envie de découvrir encore plus l’univers d’une grande artiste et « belle personne » me semble t il
bravo
et merci
Merci beaucoup Barbara ! Je suis ravie que l’interview vous ait intéressée. J’ai adoré échanger avec Cali et en apprendre un peu plus sur sa manière de travailler.
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